Les bandits redirigent leur stratégie d’enlévements, dans le nord du Nigéria, des zones rurales vers les villes.
Le 19 mai 2024, des bandits ont attaqué Dawaki, une communauté d’Abuja, la capitale du Nigéria, enlevant 20 personnes.1 Cet incident a marqué le début d’une série d’enlèvements dans des zones urbaines et péri-urbaines. La GI-TOC a identifié depuis le mois de mai au moins six autres incidents d’enlèvements dans les périphéries des centres urbains, à Kaduna, Zamfara, Katsina et Abuja, qui semblent avoir été perpétrés par des groupes de bandits.2 L’incident le plus récent a entraîné la mort d’un résident de Bwari, à Abuja, et l’enlèvement de son épouse et de ses enfants le 29 août.3
Dès janvier 2024, le ministre nigérian de la Défense Mohammed Badaru Abubajar a accusé des bandits venant de Kaduna et des États du Niger d’être responsables d’une nouvelle vague d’enlèvements à Abuja, après qu’un père et ses six filles ont été enlevés à Bwari, une banlieue de la capitale fédérale. Les bandits ont plus tard relâché la famille dans la forêt de Kajuru, un haut lieu du banditisme à Kaduna, mais seulement après avoir tué l’une des jeunes filles et reçu une rançon.4
Auparavant, les activités des bandits armés – agissant avec des gangs impliqués dans des vols de bétail, des enlèvements, des extorsions et des attaques meurtrières contre des communautés locales – étaient localisées principalement dans les villages et zones rurales du nord-ouest et du centre-nord du Nigéria. La propagation apparente des activités d’enlèvement vers les centres urbains a des conséquences importantes pour la sécurité et la stabilité dans le nord-ouest et le centre-nord du Nigéria, et pourrait aussi marquer une évolution dans les stratégies de génération de revenus des bandits.
Un épuisement des cibles d’enlèvements dans les zones rurales?
Le banditisme a une longue histoire dans le nord-ouest du Nigéria, qui remonte à l’époque précoloniale. Toutefois, il s’est considérablement aggravé en 2011, évoluant du vol de bétail à petite échelle et des vols à main armée, à des vols massifs de bovins, ainsi qu’à des enlèvements et attaques meurtrières, en grande partie à cause de l’intensification des conflits entre agriculteurs et éleveurs, et de l’augmentation du chômage.
À mesure que les bandits ont étendu leurs opérations, leurs activités sont devenues de plus en plus violentes, notamment à Maru, une région administrative locale dans l’État de Zamfara, et à Gusau, la capitale de l’État.5 Le banditisme armé s’est par la suite propagé à Kaduna et dans d’autres États voisins, jusqu’à ce que l’épuisement des stocks de bétail, et l’exode des bergers vers le sud et des zones plus sûres du Nigéria, entraînent un changement de stratégie vers la pratique de l’enlèvement.6
Photo: Shawn Baldwin/Bloomberg via Getty Images
Entre 2019 et 2022, les enlèvements ont augmenté dans le nord-ouest du Nigéria, devenant la première source de revenus des groupes de bandits armés. On estime à 662 le nombre d’incidents liés à des enlèvements sur cette période.7
Toutefois, les enlèvements d’individus ont commencé à baisser au premier trimestre 2023 et ont poursuivi leur déclin en 2024.8 Cette baisse est probablement due à une diminution de leur rentabilité, les cibles les plus fortunées ayant soit quitté la région, soit été épuisées financièrement par des enlèvements et demandes de rançons répétés.
Les enlèvements de masse par les bandits ont connu, eux, une nouvelle hausse au premier trimestre 2024,9 mais ils sont restés concentrés dans les zones rurales. Ce pic est probablement dû à plusieurs facteurs, notamment la baisse de rentabilité des enlèvements individuels – un élément qui a sans doute aussi contribué à l’augmentation plus récente des enlèvements dans les villes.
Les enlèvements collectifs dans les campagnes ont diminué à partir de mars 2024, laissant place aux enlèvements par les bandits dans les milieux urbains et péri-urbains.
Remarque: LGA fait référence à une « région administrative locale », une zone administrative dirigée par un conseil local, troisième niveau de gouvernance après les niveaux fédéral et étatique.
Source: Basée sur une compilation de sources médiatiques
Enlèvements urbains et péri-urbains : facteurs clés
Les enlèvements récents autour d’Abuja ont suscité la peur chez les habitants de la ville, selon un policier de la capitale fédérale. « Les gens pensaient que les enlèvements étaient un problème qui ne concernait que les villageois mais maintenant c’est aussi un problème important pour les habitants des villes ».10 Les enquêtes sur les enlèvements ont révélé que certains bandits arrêtés à Abuja venaient de Zamfara et Kebbi.11 Cela indique que les responsables de ces nouveaux enlèvements en ville sont les mêmes groupes de bandits qui agissaient dans les zones rurales du Nord-Ouest.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer la hausse des enlèvements dans les zones urbaines et péri-urbaines. En plus de la disparition des cibles fortunées dans les milieux ruraux, l’intensification des opérations militaires depuis 2023 a cantonné les activités des bandits aux régions du Nord-Ouest et du Centre-Nord, y compris dans les zones stratégiques comme les principaux couloirs de transport. Cela a contraint les bandits à chercher de nouvelles zones d’opérations, notamment dans les régions urbaines et péri-urbaines.
Un haut-responsable gouvernemental à Kaduna a affirmé que les bandits ciblaient davantage les régions péri-urbaines de l’État car les forces de sécurité les ont empêchés d’agir le long de la route principale reliant Kaduna et Abuja. « Leur objectif est de s’emparer de l’autoroute Abuja-Kaduna mais ils en ont été empêchés », a-t-il déclaré. « Donc ils vont vers des cibles faciles et attaquent les périphéries du centre-ville ».
Le dialogue noué depuis 2023 entre les groupes de bandits et les communautés pourrait également avoir influencé cette redirection des zones rurales vers les villes. Un nombre croissant de communautés, notamment à Zamfara, ont négocié avec les groupes de bandits. Les accords conclus dans le cadre de ces négociations visent à empêcher les bandits de cibler ces communautés, ce qui a contribué à déplacer géographiquement leurs activités.12 Toutefois, de nombreux accords précédents conclus entre bandits et communautés se sont avérés fragiles, et suggèrent que ces trêves peuvent rapidement s’effondrer.
Les conséquences à venir des enlèvements urbains
La redirection des enlèvements vers les zones urbaines et péri-urbaines crée de nouvelles opportunités de revenus pour les bandits, qui se sont révélés agiles pour naviguer entre différents flux de revenus et gagneront surement accès à d’autres formes de criminalité.
En outre, les enlèvements dans les villes remettent en cause le rôle des centres urbains comme espaces surs pour ceux fuyant la violence dans les zones rurales. Comme les bandits commencent à sévir également dans ces milieux, les habitants des communautés touchées se retrouvent avec toujours moins d’options de refuges. Cela pourrait accélérer la perte de confiance dans les autorités parmi les communautés ciblées de façon répétée par les bandits.
La propagation des enlèvements dans les milieux urbains souligne les dangers des approches actuelles, essentiellement militaires, pour combattre les groupes dans la région du nord-ouest du Nigéria, à savoir le déplacement géographique plutôt que la réduction dans son ensemble des activités de banditisme. L’évaluation des risques causés par ce déplacement, et une surveillance étroite de l’infiltration des bandits dans de nouvelles régions, devraient être intégrées aux stratégies de réponse. Ces dernières devraient aussi compléter les réponses sécuritaires avec des initiatives de résilience communautaire.
Notes
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Abiodun Sanusi, Bandits abduct 20 in Abuja night raid, Punch, 21 mai 2024. ↩
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D’autres attaques ont été signalées à Gusau et à Katsina, les capitales respectives des États de Zamfara et de Katsina, notamment à Janyau et à Kofar Jange à Gusau, ainsi qu’à FMC Layout et dans d’autres zones de la métropole de Katsina. Entretien avec un analyste basé à Katsina, 6 août 2024. ↩
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Bandits kill Abuja resident, abduct wife, kids, Channels TV, 30 août 2024. ↩
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‘Daddy, don’t allow them to kill us’ - father of abducted girls recounts daughters’ plight in captivity, Vanguard, 22 janvier 2024. ↩
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Kingsley L Madueke et al, Non-state armed groups and illicit economies in West Africa: Armed bandits in Nigeria, GI-TOC et ACLED, juillet 2024. ↩
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Ibid. ↩
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D’après des données de l’ACLED. Bien qu’il n’existe pas de statistiques vérifiables sur les enlèvements avant 2019, les analyses indiquent que le nombre d’enlèvements était plus faible avant 2019. Par exemple, l’ACLED n’a enregistré qu’une cinquantaine d’enlèvements en 2018, voir: Olajumoke Ayandele et Curtis Goos, Mapping Nigeria’s kidnapping crisis: Players, targets, and trends, ACLED, mai 2021. ↩
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Kingsley L Madueke, Lawan Danjuma Adamu et Ladd Serwat, What does the recent escalation of mass abductions in Nigeria tell us?, GI-TOC et ACLED, 15 mars 2024. ↩
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Ibid. ↩
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Entretien à distance avec un policier d’Abuja, 7 août 2024. ↩
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Isaac Kaledzi et Idris Uwaisi, Nigeria: Kidnappings in Abuja spark new fears, Deutsche Welle, 19 janvier 2024; Entretien à distance avec un policier d’Abuja, 4 juin 2024. ↩
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Entretien téléphonique avec un journaliste basé dans le nord-ouest du Nigéria, 5 août 2024. ↩