Les gangs haïtiens sont-ils en passe d’être reconnus politiquement ?
L’un des développements les plus significatifs jusqu’à présent en 2025 est la montée en puissance de Viv Ansanm, qui cherche à obtenir une reconnaissance politique. Ce groupe, issu de la fusion de factions rivales G9 et G-Pèp, contrôle aujourd’hui près de 85 % de Port-au-Prince.
Le 2 janvier 2025, le leader de Viv Ansanm, Jimmy « Barbecue » Chérizier, a annoncé la transformation du groupe en parti politique.1 Dans son discours partagé sur les réseaux sociaux, Chérizier a accusé le Conseil présidentiel de transition (CPT), créé en 2024 pour remplacer Ariel Henry, qui avait occupé le poste de premier ministre par intérim après l’assassinat en 2021 du président Jovenel Moïse, de corruption et d’incompétence.2 Chérizier a appelé à réduire le CPT de neuf à trois membres, soutenant qu’un conseil réduit et simplifié améliorerait la gouvernance, faisant écho aux sentiments exprimés par les partis politiques Engagés pour le Développement et Fanmi Lavalas.3 Chérizier a également présenté Viv Ansanm non pas comme un syndicat criminel, mais comme un mouvement représentant les communautés marginalisées d’Haïti, et a insisté pour qu’il soit inclus dans les futurs pourparlers de paix et les discussions électorales.
Bien que ces déclarations doivent être prises dans le contexte de la communication publique de Chérizier depuis au moins un an, plusieurs indications fournies par le leader criminel suggèrent un désir d’aller au-delà des opérations de communication et d’exercer une pression encore plus forte sur le contexte politique. Ainsi, Chérizier a pris soin de détailler un calendrier pour la mise en œuvre d’une structure politique liée à Viv Ansanm.
Face à ces déclarations, certains membres du CPT auraient envisagé de reconnaître Viv Ansanm comme une entité politique ; en février 2025, les discussions concernant la reconnaissance de la coalition étaient caractérisées par des points de vue divergents.4 Leslie Voltaire, alors président du CPT et affilié au parti Fanmi Lavalas, a exprimé une forte opposition à la formation de toute alliance avec Viv Ansanm. Leslie Voltaire a mentionné un document envoyé à la Communauté caribéenne (CARICOM) sur lequel figurait la mention de Viv Ansanm, en qualifiant « d’alliance inacceptable » la position de la coalition.5 « Le fait que des membres du gouvernement envisagent de permettre à Viv Ansanm d’opérer comme un parti politique revient à laisser le diable entrer chez soi. Nous ne pouvons pas dénoncer activement la violence des gangs tout en leur permettant d’avoir une existence politique », a fait remarquer un représentant du CPT lors d’un entretien avec la GI-TOC.6
Les points de vue divergents au sein du CPT soulignent les risques associés avec la reconnaissance des gangs comme acteurs légitimes de la gouvernance de transition en Haïti. D’une part, l’intégration politique pourrait inciter les groupes criminels à désarmer et à se tourner vers la paix. Mais d’autre part, l’intégration pourrait formaliser les structures de pouvoir violentes contrôlées par les gangs, empêchant l’émergence d’un système de gouvernement et risquant de nuire aux efforts visant à répondre aux griefs des communautés marginalisées.
En fin de compte, Haïti est confrontée à une décision déterminante. Au-delà de la communication politique adoptée par les gangs (et des fractures au sein du CPT et du gouvernement sur la réponse à adopter face à la transformation potentielle des groupes armés en factions politiques), les chefs de gangs peuvent exercer une pression décisive sur la transition politique. Cette situation exige des acteurs qu’ils sortent d’une posture de communication et des scandales, comme celui qui a conduit Viv Ansanm à signer le document officiel envoyé à la CARICOM, et qu’ils développent une véritable politique institutionnelle sur la manière de démobiliser ou de démanteler les groupes criminels à l’avenir.
Ce processus ne peut se faire sans une large consultation politique et sociale, et doit être mené dans la plus grande transparence afin d’éviter toute tractation informelle entre la sphère politique et les groupes armés. Toute solution envisagée doit passer par une politique claire de l’État qui permette à Haïti de faire des avancées vers la résolution de la crise de l’insécurité, mais aussi de poser les jalons d’une stratégie judiciaire.
Notes
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Haiti Channel Network, Haïti : La coalition des gangs armés « Viv Ansanm » désormais transformée en parti politique, 2 janvier 2025. ↩
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Observatoire de la violence et de la résilience en Haïti, Bulletin de risque, Numéro 1, GI-TOC, juillet 2024. ↩
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Jacqueline Charles, Can Haiti’s gangs help solve the political crisis? Some politicians seem to think so, Miami Herald, 14 janvier 2025. ↩
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Michelly Teixeira, Haitian Politicians Debate Whether Criminal Gangs Should Have a Role in The Country’s Future, The Latin Times, 18 janvier 2025. ↩
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Radio Télé Vitamine, Haïti-Politique: Leslie Voltaire juge d « alliance inacceptable » le document envoyé à la Caricom mentionnant la position du gang «Viv ansanm», 13 janvier 2025. ↩
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Entretien avec un représentant du Conseil présidentiel de transition, février 2025. ↩