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Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest

Numéro
10
Janvier
2024

En résumé

  1. Écueils lors de la réponse aux chaînes d’approvisionnement des groupes armés : leçons tirées du Cameroun et du Sahel.

    Les groupes armés et les organisations terroristes s’appuient sur des flux financiers illicites et sur des chaînes d’approvisionnement en marchandises licites et illicites afin de financer leurs opérations et d’acquérir les ressources dont ils ont besoin. La lutte contre ces flux financiers et ressources illicites est une tâche ardue. Les approches fondées sur le « blocage » des flux ont été utilisées pour contrer les flux de ressources financières et opérationnelles – et cette dernière méthode a des conséquences involontaires importantes, notamment en raison des préjudices subis par les communautés. Les séparatistes ambazoniens au Cameroun et leur utilisation des transferts d’argent internationaux, ainsi que l’acquisition par Jama’at Nusrat al Islam wal Muslimin de biens essentiels à leurs opérations, tels que le carburant et les motos, constituent des études de cas illustrant la manière dont ces approches visant à « bloquer » les flux ont produit des résultats contrastés.

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  2. Le défi de la lutte contre les économies illicites avec les régimes de sanctions internationales : le processus de Kimberley en la République centrafricaine.

    Au cours de la dernière décennie, la République centrafricaine (RCA) a été soumise à divers niveaux de restrictions dans le cadre du système de certification du processus de Kimberley, le régime commercial international visant à empêcher l’exportation et la vente de « diamants de guerre ». Toutefois, la surveillance et les restrictions commerciales imposées aux diamants ont conduit les groupes armés à réorienter leur rôle dans le secteur extractif vers l’or. Cela signifie qu’en termes de financement global des conflits, il s’agit davantage d’un changement d’orientation que d’une réduction de l’activité illicite. On ne peut pas dire que ces effets contribuent à atteindre l’objectif plus large de paix et de sécurité en RCA. L’étude de cas de la RCA met en évidence un décalage entre les attentes et les réalités observées dans les régimes de sanctions internationales.

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  3. Le Bénin introduit des mini stations-service pour s’attaquer aux chaînes d’approvisionnement en carburant illicite et aux groupes armés.

    En mai 2023, la subvention sur les carburants au Nigéria, qui durait depuis 50 ans, a été supprimée, ce qui a entraîné une augmentation substantielle des prix et a eu des répercussions considérables sur le commerce illicite des carburants dans les régions du nord du Bénin. Quelques mois plus tard, un incendie dans un entrepôt informel de carburant à Sèmè-Kraké, à la frontière du Bénin avec le Nigéria, a fait 35 victimes. Ces développements dans leur ensemble ont stimulé la volonté politique au Bénin et donnent l’occasion de perturber le commerce informel. En octobre 2023, le gouvernement béninois a annoncé un programme de construction de 5 000 mini stations-service dans tout le pays, afin d’intégrer les vendeurs de carburant informels dans le secteur formel. S’il est mis en œuvre avec succès et concentré sur le nord du pays, étant donné les liens étroits entre le secteur des carburants illicites et les acteurs armés non étatiques, la réduction de l’économie informelle des carburants pourrait avoir un impact positif sur l’instabilité dans le pays et dans la région au sens large.

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  4. Une première réponse fondamentale à la crise sécuritaire consiste à comprendre les motifs des enlèvements dans le nord du Bénin.

    En octobre 2023, des présumés extrémistes violents ont tenté d’enlever trois pêcheurs dans le village de Porga, au nord du Bénin, à la frontière avec le Burkina Faso : l’un s’est échappé, les deux autres ont été tués alors qu’ils prenaient la fuite. L’expansion des organisations extrémistes violentes (OEV) au Bénin depuis 2021 s’est accompagnée d’une recrudescence des enlèvements. L’enlèvement à des fins de recrutement forcé est l’un des moyens par lesquels les OEV cherchent à étendre leurs zones d’influence. Et si l’enlèvement contre rançon est parfois utilisé comme moyen de financement, les enlèvements perpétrés dans le pays le sont souvent à des fins plus stratégiques par des acteurs armés non étatiques. L’identification des motivations sous-jacentes et une compréhension plus nuancée du marché de l’enlèvement constituent une étape essentielle dans l’élaboration des réponses et des structures de protection.

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À propos de ce numéro

Fin 2022, l’Observatoire des économies illicites en Afrique de l’Ouest de la Global Initiative Against Transnational Organized Crime (Initiative mondiale contre la criminalité organisée transnationale, GI-TOC) a mis en évidence le chevauchement croissant entre les zones de conflit et les zones d’activités illicites, les acteurs du conflit jouant souvent un rôle important dans un certain nombre d’économies illicites. Tout au long de l’année 2023, les conflits et les violences se sont poursuivis, les organisations extrémistes violentes (OEV) – en particulier le Jama’at Nasr al-Islam wal Muslimin (JNIM) – étendant leurs activités dans certaines parties septentrionales de l’Afrique de l’Ouest côtière, surtout au Bénin.

Au cours des dernières années, la recherche menée par la GI-TOC a mis en évidence la nécessité d’une analyse nuancée de l’intersection entre les économies illicites et les conflits comme condition préalable à des mesures de stabilisation efficaces. Ce numéro du bulletin de risque en Afrique de l’Ouest se concentre donc sur une série de réponses aux économies illicites liées à l’(in)stabilité dans la région.

Ces réponses se concentrent souvent sur la manière dont les acteurs armés non étatiques sont financés par les économies illicites et en tirent des ressources. En effet, les groupes armés et les organisations terroristes s’appuient sur des flux financiers illicites et sur des chaînes d’approvisionnement en marchandises licites et illicites pour financer leurs opérations et acquérir les ressources dont ils ont besoin. Bien que les réponses basées sur le traçage et la prévention des flux financiers aient connu un certain succès, lorsque ces approches tentent de bloquer les flux de ressources opérationnelles, elles ont des conséquences involontaires importantes, notamment sous forme de dommages accrus pour les communautés dans les pays touchés par la violence armée non étatique. Le premier article de ce 10e numéro du bulletin de risque en Afrique de l’Ouest se penche donc sur la façon dont ces réponses axées sur le blocage des flux de ressources financières et opérationnelles illicites ont produit des résultats contrastés dans les cas des séparatistes ambazoniens au Cameroun et du JNIM au Sahel.

Les réponses nationales sont souvent mises en œuvre dans le contexte d’autres réponses au niveau international. L’une de ces réponses consiste à appliquer des sanctions internationales comme outil de lutte contre de nombreux types d’activités illicites. La République centrafricaine (RCA), par exemple, a été soumise à différents niveaux de restrictions au cours de la dernière décennie dans le cadre du système de certification du processus de Kimberley – le régime commercial international visant à empêcher l’exportation et la vente de « diamants de guerre ». Le deuxième article de ce numéro, qui explore la manière dont les sanctions peuvent remodeler les écosystèmes des économies illicites – comme en témoigne le déclin du marché du diamant de la RCA et la croissance de son secteur aurifère – met en évidence un décalage entre les attentes et la réalité qui peut être une caractéristique commune des régimes de sanctions internationales, et pose la question de savoir si le remodelage dans le contexte de la RCA a eu un quelconque impact sur le financement des acteurs du conflit.

Comment les gouvernements peuvent-ils gérer efficacement la tension au cœur de cette question, à savoir que les économies informelles s’avèrent être un instrument de la force et de l’expansion des groupes armés, mais aussi un moyen de survie essentiel pour de larges pans de la population en Afrique de l’Ouest et en Afrique centrale ? Le troisième article se penche sur le commerce informel de carburant au Bénin, un secteur essentiel au financement des OEV, mais aussi une source majeure de moyens de subsistance dans le pays. Une série de développements, à la fois dans les États voisins et dans le pays lui-même, a créé une opportunité significative pour le gouvernement du Bénin d’exploiter le potentiel du secteur des carburants dans le pays, tout en rompant ses liens avec l’instabilité régionale. Un programme visant à mettre en place 5 000 mini stations-service afin d’intégrer les vendeurs de carburant informels dans le secteur formel pourrait-il avoir cet effet ? Cet article reconnaît que le choix du moment – tout comme la forme de l’intervention – peut être décisif pour déterminer l’impact des programmes de stabilisation.

Toutefois, le calendrier et le contenu d’une intervention ne peuvent être adaptés au contexte que sur la base d’un diagnostic précis de l’économie illicite, de ses liens avec l’(in)stabilité et de son enracinement dans les économies locales. En restant dans le nord du Bénin, la dernière histoire se penche sur la forte augmentation des enlèvements depuis 2022, tandis que les OEV, en particulier le JNIM, ont étendu leur influence dans l’État côtier. Mais si l’on suppose généralement que les enlèvements ont pour but d’obtenir une rançon (conformément à l’accent mis sur le financement des groupes armés), ce n’est pas le seul – ni même le principal – motif de l’escalade du recours aux enlèvements par le JNIM dans le nord du Bénin. Le JNIM se sert de l’enlèvement à diverses fins stratégiques, notamment pour la collecte de renseignements et, comme en parle cet article, pour le recrutement forcé. Le suivi et l’analyse de ces différentes motivations, et de leur impact sur les communautés, sont essentiels à l’élaboration des réponses.