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l’Indice mondial du crime organisé

Observatoire de la violence et de la résilience en Haïti

Numéro
2
Novembre
2024

En résumé

  1. L’expansion des gangs et la pression sur les stratégies de sécurité publique.

    Les attaques de gangs menées à l’intérieur et à l’extérieur de Port-au-Prince exercent une forte pression sur la Police nationale d’Haïti (PNH) et les forces de la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS). Depuis son déploiement en juin 2024, la MMAS est confrontée à des défis à la hauteur des attentes qu’elle suscite auprès de la population haïtienne et de l’importance qu’elle revêt aux yeux de la communauté internationale. Bien qu’il soit trop tôt pour tirer des conclusions définitives, la MMAS n’a pas encore permis à la PNH de renverser le rapport de force face aux gangs. Par voie terrestre, par exemple, la capitale demeure toujours aussi isolée du reste du pays. Les gangs contrôlent les routes principales et continuent de faire augmenter grimper les prix du transport de marchandises à travers l’extorsion, notamment dans la région de Canaan –voie de passage essentielle vers le nord et le centre d’Haïti. Dans le même temps, la fermeture totale de la région de Gressier, passage indispensable vers le Sud, continue d’isoler un tiers du pays, qui dépend du transport côtier pour son approvisionnement.

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  2. La dynamique centrifuge de la violence à Port-au-Prince.

    Les dimensions territoriales de la violence en Haïti sont marquées par une dynamique centrifuge. Cette année, la violence des gangs s’est intensifiée en périphérie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, en particulier à Ganthier, à travers l’attaque du gang 400 Mawozo, ainsi qu’à Gressier. En octobre, la propagation de la violence a été accentuée par un massacre perpétré par le gang Gran Grif dans le département de l’Artibonite. Les attaques des gangs révèlent une volonté d’étendre leur champ d’action pour des raisons stratégiques, comme le contrôle territorial, le trafic d’armes et de drogues, et la consolidation de leur influence sur des populations et ressources plus vastes. Face à ces défis, la MMAS et la PNH ne sont pas en mesure de répondre à l’ouverture de multiples fronts simultanés, ou d’occuper le terrain à moyen terme, après les opérations, pour repousser les gangs. Ces faiblesses opérationnelles bénéficient aux groupes criminels qui continuent, dans une large mesure, à jouer au chat et à la souris avec les forces de l’ordre.

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  3. Les homicides chutent mais la pression des gangs continue d’augmenter.

    L’état actuel des dynamiques de violence révèle deux vérités parallèles. Si les statistiques d’avril à juin 2024 montrent une diminution de 45% des homicides par rapport au trimestre précédent, cela ne s’est pas traduit par une amélioration des conditions de vie ou une stabilité de long terme pour les Haïtiens, en particulier dans les zones restant sous le contrôle des gangs. En termes qualitatifs, les groupes criminels continuent d’exercer une pression immense sur les communautés vivant sous leur contrôle, une dynamique notamment illustrée par une augmentation du nombre de viols et des violences basées sur le genre, ainsi que par les déplacements de populations.

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À propos de ce bulletin de risque

Le deuxième numéro du bulletin de risque de la violence et de la résilience en Haïti vise à souligner l’évolution géographique et sociale de la violence des gangs, et les défis qu’elle pose pour les réponses des autorités haïtiennes et de la communauté internationale. Il montre aussi que, malgré la baisse statistique des homicides et des affrontements entre mars et septembre 2024, les conditions structurelles qui sous-tendent la violence, à savoir la domination sociale des gangs et leur capacité à reprendre le combat, demeurent intactes.

Depuis que la mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS), dirigée par le Kenya, a été déployée en juin 2024, celle-ci est confrontée à des défis proportionnels aux attentes de la population et à son importance croissante sur la scène internationale. Cependant, le manque de financement et de soutien logistique restent des obstacles majeurs à la pleine capacité opérationnelle de la mission. Bien qu’il soit trop tôt pour tirer des conclusions définitives, et alors que des renforts devraient arriver sous peu, la MMAS n’a pas encore permis à la Police nationale d’Haïti (PNH) de renverser le rapport de force avec les gangs. La raison principale reste le manque de soutien financier et technique des États membres des Nations unies – à l’exception des États-Unis, du Canada et, dans une moindre mesure, de la France. Sans soutien financier, il est impossible pour la MMAS de mener à bien la tâche pour laquelle elle a été déployée.

Les gangs contrôlent toujours plus de 80% de Port-au-Prince, ainsi que les principales routes menant à la capitale, l’isolant du reste du pays. Le transport de marchandises et la circulation de la population sont sous la coupe des groupes criminels qui sont capables d’ouvrir ou fermer les grands axes de circulation, mais aussi d’y prélever la grande majorité de leurs revenus, à travers l’imposition d’un régime d’extorsion strict, qui fonctionne à travers un système de checkpoints et de péages. Si les gangs décident de fermer les routes ou de bloquer certains nœuds d’infrastructure, comme cela a été le cas du port international de Port-au-Prince entre septembre et octobre 2024, il est illusoire de penser que les forces de l’ordre pourront les en empêcher.

À cette logique s’ajoute l’expansion territoriale de la violence, en dehors de la capitale. Bien que des gangs, des groupes d’autodéfenses et d’autres entités armées aient été présents et actifs hors de Port-au-Prince depuis de nombreuses années, cette dynamique a pris une nouvelle dimension ces derniers mois. Depuis juillet 2024, la violence des gangs a considérablement augmenté en périphérie de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, en particulier dans la commune de Ganthier, à une vingtaine de kilomètres de la frontière avec la République dominicaine, vers l’est, et à Gressier, passage obligé vers le sud-ouest du pays. En octobre, la propagation de la violence s’est encore accentuée avec le massacre commis par le gang Gran Grif, dans la région de l’Artibonite.

Les attaques des gangs reflètent une volonté d’étendre leur domination pour des raisons stratégiques qui lient le contrôle du territoire et des populations, le trafic d’armes et de drogues, et la domination sur des ressources et marchés légaux plus vastes, dans le but de pérenniser l’extorsion. Cette évolution territoriale pose un immense défi opérationnel pour les forces de l’ordre. En effet, ni la MMAS ni la PNH ne semblent capables de répondre à l’ouverture de fronts simultanés à travers le pays. Cela est dû à des manques de moyens humains, techniques et logistiques qui empêchent les forces de police de se déployer rapidement, à l’intérieur et à l’extérieur de la capitale, et d’occuper le terrain sur le moyen ou long terme. Ces défaillances opérationnelles profitent aux gangs, qui continuent de jouer au jeu du chat et de la souris avec les forces de l’ordre, en prenant au dépourvu les opérations de police ou en réduisant à néant leurs efforts en reprenant les territoires disputés aussitôt les forces parties.

Ces développements mettent en évidence un pays enfermé dans une double réalité. Bien que les statistiques portant sur la période d’avril à juin 2024 montrent une baisse de 45% des homicides comparé au trimestre précédent, cela ne s’est pas traduit par une amélioration des conditions de vie ou une stabilité de long terme pour les Haïtiens. Encore moins pour ceux vivant dans les zones toujours sous contrôle des gangs. Si certaines régions ont pu profiter du calme relatif pour reprendre une vie plus normale – avec la réouverture des écoles, le retour d’un certain dynamisme économique et commercial, et une liberté de mouvement retrouvée ­– le reste du pays souffre de la pression directe ou indirecte des gangs, et de l’impact dévastateur de la violence sur la vie sociale, économique et professionnelle. Enfin, même dans les zones contrôlées par des groupes criminels, où les affrontements ont pu s’apaiser au cours des six derniers mois, les gangs continuent d’exercer leur pression sur les communautés vivant sous leur contrôle, comme l’illustrent la forte augmentation des viols et des violences basées sur le genre, ainsi que les déplacements de populations.

Ces grilles d’analyses sont au cœur de la mission de l’Observatoire de la violence et de la résilience en Haïti. Nous nous efforçons de documenter la crise haïtienne à partir d’une compréhension de l’économie politique de la violence dans le pays, dans un contexte de forte tension et d’incertitude politiques.