La dynamique centrifuge de la violence à Port-au-Prince.
La nature territoriale de la violence en Haïti montre une importante dynamique centrifuge. Depuis cette année, la violence des gangs a dépassé les limites de la zone métropolitaine de Port-au-Prince, notamment à Ganthier, cible du gang 400 Mawozo, à 30 kilomètres à l’est de la capitale, ainsi qu’à Gressier, à 20 kilomètres à l’ouest.1 Ces attaques révèlent une volonté des gangs d’étendre leur influence pour des raisons stratégiques liées au contrôle territorial, au trafic d’armes et de drogues, et pour augmenter leur influence sur des populations et ressources plus larges, notamment à travers l’extorsion.2
Début octobre, cette dynamique a pris une tournure encore plus dramatique quand le gang Gran Grif a perpétré l’un des plus grands massacres que le pays ait connu depuis des décennies. Dans la commune de Pont-Sondé, commune centrale pour le commerce dans l’Artibonite, à 100 kilomètres au nord de la capitale, le gang a exécuté des hommes, des femmes et des enfants, mais aussi pillé et détruit des maisons, et forcé plus de 6 000 habitants à fuir la région. Le nombre de morts est estimé à 109.3 D’après les premiers rapports, la PNH, stationnée à une vingtaine de kilomètres seulement de Pont-Sondé, a échoué à intervenir durant l’attaque.4
Le 29 juillet 2024, le gang 400 Mawozo a lancé une attaque à Ganthier qui a entraîné d’importantes destructions, dont celle du poste de police local. Une autre attaque du groupe, le 15 août, a entrainé le déplacement forcé de 6 000 habitants, fuyant les incendies de leurs maisons, les enlèvements et les vols.5 Cette attaque faisait suite à une tentative infructueuse des forces haïtiennes, le 25 juillet, de juguler l’influence du gang 400 Mawozo dans la commune voisine de la Croix-des-Bouquets, illustrant la capacité de rebond du groupe.6
Ganthier est une communauté rurale située sur la route 8, à quelque 20 kilomètres du poste-frontière de Malpasse avec la République dominicaine, et sur un axe clé du sud du pays. Là, les routes, et la région dans son ensemble, sont utilisées pour la contrebande d’armes, de drogues et d’autres marchandises comme des armes à feu.7 En 2023, l’Office des Nations unies contre la drogue et le crime a identifié Malpasse comme un point de passage stratégique pour la sortie de drogues du pays, en raison de son terrain montagneux et peu surveillé, frontalier de la République dominicaine.8 Des armes à feu ont été repérées entrant en République dominicaine, avant d’être transportées en Haïti via des postes-frontières, officiels ou non, dont le point de passage de Jimaní-Malpasse.9
Les événements à Ganthier mettent en évidence la lutte permanente entre les forces de sécurité haïtiennes et le gang 400 Mawozo, et soulignent la complexité et les limites des stratégies actuelles d’intervention. Malgré une opération planifiée le 25 juillet 2024, impliquant la police haïtienne et des soldats kényans de la MMAS, celle-ci a échoué à établir un contrôle durable sur la zone. La réoccupation rapide de Ganthier par le gang, ajoutée aux attaques qui ont suivi, démontre la capacité d’adaptation stratégique du groupe et souligne la difficulté pour les forces de sécurité haïtiennes et internationales de maintenir les acquis en matière de sécurité. Ce scénario montre aussi la nécessité de réévaluer les approches tactiques, d’apporter un soutien plus robuste, et de renforcer l’engagement pour lutter contre la présence bien ancrée du gang et atténuer ses conséquences sur les populations locales.
En même temps, à l’ouest de la capitale, les gangs ont continué d’étendre leur contrôle sur des zones de Gressier et Carrefour. Ces attaques ont déplacé plus de 4 400 personnes depuis mai 2024.10 De plus, 46 femmes et filles ont été agressées sexuellement, dont 23 ont été secourues par la police lors d’une opération en juillet.11
Ganthier et Gressier sont des localités stratégiques pour les gangs. Située à la périphérie ouest de Port-au-Prince, Gressier constitue une porte d’entrée incontournable vers la capitale, en faisant un atout pour le contrôle des mouvements de la ville. La localisation sur la Route nationale 2, axe majeur pour le transport, permet aux gangs d’imposer l’extorsion sur le commerce et la logistique, et de faciliter la contrebande de marchandises.12 Les départements du Sud sont également des routes essentielles de trafic d’armes et de drogues.13
Au-delà de l’intense violence à Artibonite et Carrefour, les attaques de gangs à Gressier et Ganthier illustrent l’expansion du champ d’action des groupes criminels. De telles attaques contribuent à transformer le paysage des affrontements et des déplacements de populations. En s’étendant à d’autres départements, les gangs cherchent à contrôler plus de territoire, ce qui leur permet de consolider leur place d’acteurs déterminants dans les sphères politique et économique d’Haïti.14 Enfin, le calendrier choisi de ces attaques montre également la façon dont les factions des gangs utilisent des tactiques offensives pour tester les capacités de réponse de la Police nationale haïtienne et de la Mission multinationale d’appui à la sécurité.
Notes
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Juhakenson Blaise, Gangs continue to rule and expand their grip on Haiti as authorities promise action, The Haitian Times, 26 août 2024. ↩
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David C Adams et Andre Paultre, Sidestepping deployed Kenyan forces, Haiti gangs continue reign of terror, The New York Times, 11 août 2024. ↩
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Death toll rises to 109 after Haiti gang attack, official says, RFI, 10 octobre 2024. ↩
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Jean Junior Célestin, Massacre de Pont-Sondé : le bilan s’alourdit, Le Nouvelliste, 4 octobre 2024. ↩
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The Soufan Center, Recurrent gang violence proving a difficult cycle to break in Haiti, 15 août 2024. ↩
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David C Adams et Andre Paultre, Sidestepping deployed Kenyan forces, Haiti gangs continue reign of terror, The New York Times, 11 août 2024. ↩
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L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Haiti’s criminal markets: Mapping trends in firearms and drug trafficking, 2023. ↩
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Ibid. ↩
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Bureau intégré des Nations unies en Haïti (BINUH), Quarterly report on the human rights situation in Haiti, janvier–mars 2024. ↩
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Le Bureau de la coordination des affaires humanitaires des Nations unies, Haiti emergency situation report No. 23 (as of 16 May 2024), 17 mai 2024. ↩
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Réseau National de Défense des Droits Humains, Murders, rapes, looting, and arson in Carrefour and Gressier under the indifferent gaze of the new state authorities, 15 août 2024. ↩
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Bureau intégré des Nations unies en Haïti, Report of the Secretary-General, Conseil de sécurité des Nations unies, 15 janvier 2024. ↩
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L’Office des Nations unies contre la drogue et le crime, Haiti’s criminal markets: Mapping trends in firearms and drug trafficking, 2023. ↩
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David C Adams et Andre Paultre, Sidestepping deployed Kenyan forces, Haiti gangs continue reign of terror, The New York Times, 11 août 2024. ↩