La reconstruction des institutions haïtiennes, la MMAS et l’écosystème de la violence criminelle : comment assurer des réponses coordonnées en matière de sécurité et de justice?

Le Premier ministre haïtien Garry Conille rencontre des membres du premier contingent de la police kenyane, arrivé le 25 juin dans le cadre de la Mission multinationale d’appui à la sécurité.

Le Premier ministre haïtien Garry Conille rencontre des membres du premier contingent de la police kenyane, arrivé le 25 juin dans le cadre de la Mission multinationale d’appui à la sécurité.

Source: © Guerinault Louis/Anadolu via Getty Images

Après des mois de retard, la force de la MMAS, principalement financée par les États-Unis et dirigée par le Kenya, a enfin été déployée à Port-au-Prince le 25 juin. La MMAS est composée de policiers d’élite de l’escadron Recce Squad de la police kényane, de l’Unité de déploiement rapide et d’un groupe d’opérations spéciales comprenant la police aux frontières kényane.1 D’autres pays se sont engagés à fournir du personnel à la MMAS, dont la Jamaïque, les Bahamas, le Guyana, la Barbade, Antigua-et-Barbuda, le Bangladesh, le Bénin et le Tchad.2 Avec ce premier contingent de 200 policiers, la MMAS devrait apporter un peu d’oxygène à la police haïtienne, tant sur le plan opérationnel que sous la forme de moyens techniques. Ce soutien doit également aider à recruter et former des policiers locaux. Il faut espérer qu’elle apportera également un peu de répit à la population, en lui permettant de retourner à une vie plus normale, et qu’elle permette d’améliorer l’accès humanitaire au pays.

Toutefois, de nombreuses incertitudes demeurent quant à la stratégie et aux règles d’engagement de la mission, ainsi que sur les mécanismes assurant une supervision de la force. De plus, la façon dont la mission sera coordonnée avec les autorités haïtiennes, la communauté internationale et la société civile n’est toujours pas claire.3 Dans un environnement de gouvernance fragmentée et violente, avec des compétences institutionnelles dispersées entre le Conseil présidentiel de transition (CPT) et le gouvernement récemment formé du Premier ministre Conille, il existe un risque de manque de coordination de la MMAS sur le terrain, et de manque de clarté concernant sa supervision, avec des inquiétudes particulières quant aux répercussions judiciaires et sur les droits humains.

De ce contexte, le rôle du CPT est important. Fruit d’un accord négocié par la CARICOM en mars, le CPT, qui a prêté serment le 25 avril,4 est un organe de gouvernance composé de sept membres issus des principaux partis politiques haïtiens et de représentants du secteur privé et de la société civile.5 Le mandat du CPT stipule qu’il exercera des fonctions présidentielles jusqu’à l’investiture du président élu, « qui doit avoir lieu au plus tard le 7 février 2026 ». Garry Conille a été désigné Premier ministre par le CPT le 28 mai.6

Le décret établissant le Conseil le charge également de mettre en place un conseil de sécurité nationale. Ce dernier n’avait toutefois pas encore été instauré au moment de la rédaction de ce bulletin. Le CPT doit également collaborer avec la Commission nationale de désarmement, de démantèlement et de réinsertion (CNDDR), et superviser la création d’une Commission vérité, justice et réparations.

Ces initiatives, fondamentales pour la continuité de la politique de résolution du conflit, semblent progresser lentement. Le CPT doit développer ces structures s’il entend formuler une proposition et stratégie claires pour l’avenir de la paix et de la stabilité en Haïti. Dans le contexte de l’arrivée de la MMAS, une feuille de route, encadrée par des organes juridiques solides et transparents, doit être mise en place.

Comme c’est le cas d’autres situations impliquant des groupes criminels, notamment dans des environnements urbains — comme à Rio de Janeiro par exemple — les affrontements armés, la gouvernance publique et les relations politico-criminelles ne fonctionnent pas comme un jeu à somme nulle.

Comme déjà souligné par la GI-TOC,7 les gangs haïtiens ne suivent pas une logique insurrectionnelle.8 Ils cherchent à renforcer leur position dans le système politique et économique, et non en dehors, et à se présenter comme des intermédiaires indispensables, positionnés entre la communauté et les secteurs public et privé. Pour s’imposer comme un intermédiaire, un futur allié politique, ou pour rester en place en tant que « bandit légal » cherchant des rentes, il faut apparaître fiable, indispensable et puissant. C’est précisément ainsi que les chefs de gangs, qu’ils choisissent d’apparaître ou non dans les médias, veulent se positionner en cette période de transition politique, et plus particulièrement depuis la mise en place du CPT.

Bien que la rhétorique de certains chefs de gangs haïtiens, telles que les déclarations répétées de Chérizier, puisse être interprétée comme une volonté de renverser le système, ils n’offrent en réalité pas de modèle de gouvernance alternatifs. A la place, les groupes criminels se concentrent sur l’objectif de gagner des territoires ou marchés stratégiques. Que ce soit par la force ou la négociation, ou généralement les deux, les gangs sont ainsi capables de tirer des revenus des routes commerciales, des ports et du transport de passagers, de la production agricole et du commerce illicite, celui de la cocaïne en premier lieu.

En ce sens, les gangs participent à la gouvernance, mais sans l’intention de remplacer le modèle étatique. Les gangs font plutôt partie intégrante d’une logique de partage de souveraineté dans des territoires où les populations civiles doivent osciller entre l’autorité — et la violence — des gangs et de l’État. Les deux coexistent dans un ordre instable qui intègre désormais la Mission multinationale d’appui à la sécurité (MMAS).

S’il est impossible de prédire comment les gangs réagiront au déploiement de la force de la MMAS sur le long terme, il est probable que la réponse ne sera pas homogène. Certains pourraient combattre, alors que d’autres chercheront à négocier avec le gouvernement haïtien. Il est donc essentiel que les rôles institutionnels soient mieux définis, et que les autorités haïtiennes parlent d’une seule voix, tant pour les citoyens du pays que pour la communauté internationale. Tandis que les institutions haïtiennes cherchent à se consolider, le fonctionnement bicéphale de la vie politique posera des défis qu’il faut urgemment combler.

Notes